Un mot pourrait suffire pour résumer mon avis : sublime ! Mais je vais quand même vous en dire plus …
Il est rare de voir un manga adulte décliné sur grand écran avec autant de réussite, surtout que ce film d’animation est produit et réalisé par des Français ! Le Sommet des Dieux est l’œuvre de Patrick Imbert, coréalisateur du Grand Méchant Renard et autres contes en 2018. Si ce premier film visait un public enfantin, Le Sommet des Dieux cible le plus grand nombre, pouvant plaire autant aux jeunes qu’aux plus matures. Patrick Imbert l’adapte du manga de Jirô Taniguchi, manga lui-même adapté du roman fleuve éponyme de Baku Yumemakura. Les droits acquis en 2013, huit années ont été nécessaires pour que le film aboutisse. C’était un défi de taille, de condenser en un film d’une heure trente, un manga déployé sur cinq tomes et plus de mille cinq cents pages ! Il lui a fallu faire des choix narratifs, tout en restant fidèle à l’œuvre écrite par Baku Yumemakura et dessinée par Taniguchi.
S’appuyant sur un registre réaliste, le film alterne plusieurs époques et fait voyager d’une incroyable manière vers le toit du monde. L’histoire repose principalement sur quatre personnages : Fukamachi, jeune journaliste nippon, va retrouver un alpiniste disparu, Habu, qui est en possession d’un appareil photo Kodak qui aurait appartenu à George Mallory, alpiniste britannique décédé en pleine ascension. On ignore s’il avait réussi à atteindre le sommet de l’Everest dans les années 20, ce dont les photos contenues dans l’appareil pourraient attester. Et un dernier personnage, non des moindres, central et grandiose : l’Everest. Habu se met en quête d’atteindre son sommet, « le sommet des Dieux ».
Ainsi histoire vraie, celle de Mallory, et fiction se mêlent pour nous entraîner dans une progression dramatique solide et palpitante. On suit le cheminement intérieur et montagnard d’Habu. Au fur et à mesure que les personnages avancent, qu’ils progressent en altitude, la parole se raréfie pour laisser place à la montagne qui apparaît vivante d’une manière extraordinaire, et - c’est le cas de le dire - à couper le souffle.
Le décor même s’exprime, car Patrick Imbert s’est attaché à retraduire graphiquement le mystère des paysages. L’immensité neigeuse du massif himalayen est rendue grâce à des effets de profondeur, de flou. Ces dispositifs créent une immersion visuelle dans la montagne, renforcés par le montage et les sons qui ajoutent une immersion sensorielle formidable : on entend le souffle de la montagne et celui des alpinistes. C’est un film d’une grande intensité, où le spectateur ressent les sensations de vertige, mais aussi de froid, du vent, du manque de souffle. Il ressent les émotions, la tension, le stress des protagonistes.
Ainsi le réalisateur interroge l’obsession pour la montagne, cette addiction, cet envoûtement des cimes : « Une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer, il n’y a que ça qui compte », confie le pourtant si mutique Abu. Entre conquête de l’Everest et quête d’identité, Patrick Imbert cherche à comprendre cet engagement et montre toute l’étendue de la solitude de l’alpiniste à l’assaut des sommets, et la détermination sans faille de ces passionnés de l’extrême, qui ne vivent que pour les défis, le dépassement de soi. Avec sensibilité, « Le Sommet des Dieux » capte la grande humanité de ces êtres passionnés, en prise de risque permanente face au péril. C’est fascinant !