Camille Lepage était photographe de guerre indépendante par vocation et passion. Par choix, elle s’est installée à Bangui, en Centrafrique. Elle y a couvert la guerre civile opposant les rebelles de la Séléka (les Chrétiens, à la solde du président Djotodia) aux milices d’autodéfense villageoises (les anti-balaka, Musulmans), entre octobre 2013 et mai 2014. Tombée dans une embuscade le 12 mai 2014, elle est assassinée.

Le réalisateur Boris Lojkine, après le très beau Hope en 2014 qui nous plongeait dans l'Afrique des migrants, nous propose avec Camille le portrait de cette jeune photojournaliste de 26 ans. Une idéaliste courageuse qui voulait observer, comprendre et relayer, bien déterminée à témoigner des drames qui se jouent dans ce pays, tout en désirant s’y intégrer.  

Il nous offre un film très fort, de par sa sobriété : sans esbroufe, de façon documentaire et avec une réelle densité immersive, grâce aux choix du tournage : in situ, avec des équipes mixtes, des acteurs locaux. Fiction et réalité s’entrechoquent grâce à l’association des photos prises par Camille en format 1.5, et des images fictionnelles. Portraits serrés, moments partagés avec les autochtones… Le spectateur découvre le pays à travers son objectif et il voyage avec l’héroïne. En même temps, de manière tout aussi passionnante, il découvre la jeune fille qui observe.

Boris Lojkine s’est astreint à des mois d’enquêtes auprès de ses proches et à maints déplacements en Afrique pour rencontrer des témoins de la guerre civile. Souvent caméra à l’épaule, il décline une mise en scène énergique, au diapason de la détermination de la photographe sur le terrain, pour capter avec le plus d’authenticité possible la violence complexe qui a embrasé tout ce pays peu médiatisé.

Il en profite pour montrer les décalages inhérents à la profession : ses rapports avec sa famille, avec son milieu professionnel essentiellement masculin, mais aussi ses doutes sur son métier et le questionnement constant sur la bonne distance éthique à aborder face à l’horreur. Comment raconter l’irracontable guerre, la douleur et la mort omniprésentes ? Tout peut-il être publié ? Ces interrogations sur la violence et sa médiatisation, sur la précarité du photoreporter indépendant, ainsi que sur la complexité de l’héritage postcolonial, sont particulièrement édifiantes.

Le réalisateur nous fait réfléchir au statut des images, à la manière dont nous les percevons, tout en apportant une lueur d’humanité chez les protagonistes cruels mais fragiles de ce conflit. C’est fascinant de voir l’évolution du regard de la jeune femme : comment se précise le sens profond de son engagement, et la façon dont elle se sent en harmonie avec ce pays, tout en restant lucide.

C’est tellement vivant qu’on est embarqué dans ce conflit, captivé par le parcours de Camille. « J’ai privilégié la fiction au documentaire parce que je voulais faire ressentir des émotions avec son histoire », dit Boris Lojkine. Bien que le public soit fixé dès le début sur son sort, il vibre pour l’héroïne, remarquablement campée par l’actrice Nina Meurisse, d’un naturel confondant.

Grâce à ce portrait sensible et poignant, on n’oubliera jamais Camille Lepage.