Un superbe film noir, d’une beauté visuelle et sonore magnétique.
La nuit venue nous fait déambuler dans un Paris nocturne, au gré des déplacements d’un chauffeur de VTC chinois sans papier, à la merci de son employeur mafieux qui lui fait payer ses dettes. Alors qu’il rêve d’être musicien, une belle opportunité s’offre à lui, lui donnant l’espoir de s’échapper de ce quotidien épuisant. Mais un incident va mettre en péril son projet. Une nuit, il accueille dans sa voiture Naomie, danseuse dans une boite de strip-tease souterraine : intrigués l’un par l’autre, une affinité s’établit immédiatement entre eux, chacun perdu dans sa solitude.
La rencontre entre ces deux êtres torturés est passionnante : au cours de leurs courses nocturnes dans la capitale, rythmées par les hypnotiques notes de musiques des compositions de Jin - bande son électro minimaliste magnifique, signée Rone-, les deux protagonistes comprennent à quel point ils sont semblables. Brisés par le système qui les exploite, ils évoluent dans une douce mélancolie, se rattachant tant bien que mal à la beauté qu’ils trouvent dans leur monde.
Le réalisateur nous transporte dans un univers de douceur et de poésie urbaine fascinante, grâce à la sensualité qui émane des personnages, grâce aux effets de cadrage très maîtrisés, aux éclairages colorés des néons et des lumières cryptiques du périphérique qui défilent dans le reflet des vitres, grâce aussi à la musique qui rythme et sublime ces moments.
On peut penser à Drive, de Nicolas Winding Refn, dans l’utilisation des codes du film noir, mais le propos du film en fait également un grand film social, s’approchant davantage de Sorry you missed you, le dernier opus de Ken Loach. Ce premier film réussi de Frédéric Farrucci nous entraîne dans des quartiers déshérités de Paris, de ruelles méconnues au périphérique, brisant les clichés touristiques. La capitale, reflet de la solitude des personnages, se révèle sombre et rongée par le vice. On y voit les vendeurs à la sauvette, les tentes des immigrés sous les ponts, les garages clandestins, l’uberisation des relations professionnelles … Le film nous plonge au cœur de l’immigration chinoise, sujet relativement peu traité dans le cinéma français, et au-delà, il évoque les conditions du métier de chauffeur VTC, décrite comme un « esclavage moderne ». Les mafieux chinois exploitent les jeunes immigrés endettés et les enferment dans un contrôle permanent, via les téléphones portables et les menaces à l'encontre de leur famille restée au pays. Leurs papiers confisqués, ces travailleurs vivent entassés dans de minuscules appartements de banlieue, et conduisent de luxueuses voitures allemandes, dont ils sont responsables sans en être propriétaires, survivant avec des maigres salaires. Quand Jin se plaint des conditions de travail, son collègue lui reproche de penser « comme un occidental ». De son côté, Noémie apporte une autre facette de la servitude contemporaine : celle des prostituées, call-girls, escortes.
Le scénario est implacable, et la mise en scène troublante instille une tension constante, rendant palpable l'angoisse diffuse ressentie par les personnages. Très vite, on sait qu'il n'y aura pas d'issue possible à leur amour et pourtant le récit progresse en continuant de nous surprendre. La nuit venue sonne juste et nous envoute : la mélancolie de ces vies saccagées et de la fragilité de leurs espérances nous hante durablement.