Lauréat du prix « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2019, La Vie invisible d'Euridice Gusmao est un grand film, à la fois romanesque et réaliste.

Son réalisateur, Karim Aïnouz, s’inscrit dans la lignée du “nouveau cinéma brésilien” social et militant. Il a débuté sa carrière par un documentaire qui évoquait la vie de sa grand-mère et de ses quatre sœurs, y dénonçant la société misogyne qui rejetait sa mère célibataire dans le nord-est du Brésil conservateur des années 60. Habitué des portraits de personnages à la marge (Madame Sata) et de femmes délaissées (Violeta dans La falaise argentée), il adapte ici le roman éponyme de Martha Batalha paru en 2015.

Rio de Janeiro, 1950. Deux sœurs inséparables et pourtant séparées par la vie. Tel fut le destin des très complices Guida et Eurídice, coupées l’une de l’autre par une société patriarcale et un père intransigeant et conservateur. Elles rêvent, l’une d’une carrière de pianiste, l’autre du grand amour. Leur destin en décidera autrement…

Deux existences broyées par les interdits de la société, qui contraignent à abandonner une partie de soi-même et à se réfugier dans son monde intérieur. La vie invisible, c’est une vie imposée, un cœur meurtri, des rêves perdus… Restent les souvenirs et l’amour éternel d’une sœur.

En suivant le parcours de ces deux héroïnes sur plusieurs décennies, le réalisateur se fait la voix des femmes privées de la liberté de s’épanouir autrement qu’en étant épouses et mères, tout en rêvant d’émancipation. Sans victimiser ses héroïnes, le réalisateur semble s’effacer, laisse sa caméra suivre deux actrices intenses, les filmant avec une empathie et une justesse incroyables. Si les hommes n'ont pas le beau rôle, et sont presque caricaturaux (le père qui chasse sa fille du foyer parce qu'elle est enceinte et célibataire ; le marin grec qui a une femme dans chaque port ; le mari d'Euridice, benêt et obsédé sexuel ; le médecin gynécologue sans scrupules quant au secret professionnel…), il dépeint l’intimité sans édulcorer, montrant minutieusement la réalité de la vie des femmes et des couples. C’est un cinéma empreint d’une forte sensualité : moiteur des corps, nudité, lumières chaudes et saturées, photographie qui rend palpable l’humidité et l’atmosphère tropicale du Brésil, sans oublier une dépaysante bande originale qui s’appuie sur les classiques du fado, chantés par Amália Rodrigues.

"Je voulais réaliser un mélodrame tropical", dit son réalisateur. Pari réussi, pour cette puissante saga familiale, formidable film social et féministe loin des clichés habituels sur le Brésil, au scénario passionnant avec de multiples rebondissements et un épilogue magnifique : Euridice et Guilda sont sublimes et nous bouleversent de s’être tant aimées.

 

 

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