Sorti au début du mois de février 2020, peu avant le début du confinement, ce très beau premier film méritait une audience plus importante. Il est temps de se rattraper avec le DVD !
Sans logis, livrée à elle-même alors qu’elle est sur le point d’accoucher, Samia sonne de porte en porte dans la médina de Casablanca, à la recherche d’un travail. Mais les portes se referment les unes après les autres : une jeune fille qui a le malheur de tomber enceinte sans avoir d’époux est rejetée par la société. Nul ne la recueille, sauf Abla, refermée sur elle-même depuis la mort de son mari, vivant seule avec sa fille de 8 ans. Cette femme résignée, toute dévouée à son commerce de pâtisseries marocaines, accepte de lui offrir un lit pour une nuit. Puis plusieurs nuits, quand Samia se révèle être une excellente cuisinière et lui apporte contre toute attente, une aide précieuse dans la confection des gâteaux.
Grâce notamment à la fille d’Abla, Warda, fillette lumineuse, les deux femmes vont peu à peu tisser une relation particulière, s'apprivoiser, permettre à l’autre, chacune à sa manière, de se révéler, et le quotidien austère d'Abla va s’égayer.
Le cœur du film est constitué par ce lien progressif noué entre ces deux destins cabossés. L’une porte la dureté et le deuil, l’autre la douceur et la vie, mais tandis que cette dernière se prépare à un deuil différent, celui de l’abandon, l’autre renaît en retrouvant des sensations et émotions.
Pourquoi abandonner son bébé ? Devenir mère célibataire est la pire damnation pour une femme marocaine : elle est expulsée du schéma patriarcal de la famille et de la femme respectables. Ainsi, si elle veut retourner la tête haute dans son village natal, si elle veut assurer un avenir à son enfant, ça ne peut être que séparément.
Derrière une apparente simplicité, c’est toute la complexité d’une culture, le poids des traditions qui nous sont suggérés. La réalisatrice, aussi journaliste, scénariste, et actrice, compagne du réalisateur Nabil Ayouch avec qui elle a collaboré sur Much Loved et Razzia (deux œuvres qui s’intéressaient déjà à la condition féminine au Maroc), proteste ainsi contre le sort réservé aux femmes au Maroc, privées de leurs droits fondamentaux comme celui de disposer de leur corps, sous couvert de bienséance sociale et religieuse. Elle s’inspire ici d’un épisode de sa jeunesse, lorsque ses parents ont recueilli une jeune femme enceinte et célibataire.
Mais bien au-delà de la dénonciation, Maryam Touzani signe un film délicat, et dresse deux magnifiques portraits de femmes, magnifiant le sentiment puissant d’être mère. La maternité et l’amour pour un enfant ont-ils déjà été filmés ainsi, avec cette intensité ?
Le scénario, fin et subtile, est remarquable de sobriété et de sensibilité. Le récit fait le pari de la lenteur et des silences, avec une économie de moyens qui finit peu à peu par bouleverser.
La caméra filme au plus près des visages, elle prend le temps d’observer les gestes quotidiens, privilégie les échanges de regards, où l’on voit poindre des rictus et des yeux rieurs qui n’ont pas d’équivalent dans des dialogues. Elle décrit visuellement, avec une palette de couleurs chaudes, ocres, dans les cadres faiblement éclairés de l’appartement- échoppe. Ces clairs-obscurs convoquent l’image des tableaux de De La Tour, ou l’orientalisme de Delacroix. Une scène magnifique montrant les mains de ces artisanes qui s’allient pour pétrir la pâte, fait penser à La Laitière de Vermeer. De fait, l’atmosphère est éminemment picturale et on est frappé par la tonalité intimiste et la beauté qui en émane. Maryam Touzani filme ses héroïnes avec une grande sensualité, voire une forme d’érotisme, qui les rend absolument sublimes.