La Palme d'or du 71e Festival de Cannes en 2018 est un pur chef d’œuvre qui a bouleversé le monde entier. Le japonais Hirokazu Kore-Eda y livre une nouvelle chronique des liens familiaux, son thème de prédilection et se confirme, si nécessaire, comme un des cinéastes japonais contemporains majeurs.

La famille du titre français vit, entre autres, de larcins dans les magasins qu’évoque le titre original Shoplifters (« voleurs à l’étalage »). Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu y consent lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent : ils en font alors un membre à part entière de leur famille. En dépit de leur pauvreté, les membres de cette tribu semblent vivre heureux, jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Nous suivons avec fascination cette étonnante famille recomposée si peu conventionnelle : un portrait qui oscille entre douceur bienveillante, humour et critique sociale.

Comme dans Nobody knows qui le fit découvrir à Cannes en 2004, le réalisateur fait tourner des enfants qu'il filme avec tendresse, s'attardant sur leurs petits pieds ou leur regard triste. Il s’intéresse, sans misérabilisme, à la vie de cette famille transgressive et sympathiquement amorale, débrouillarde, cocasse et émouvante. Les situations donnent lieu à des scènes très drôles et réjouissantes, suscitant une dimension à la fois insolente et humaniste.

Le réalisateur japonais revisite ainsi son grand sujet, après les magnifiques Nobody Knows, Still Walking, Tel père tel fils, Notre petite sœur notamment : la cellule familiale dans la société japonaise. Il interroge les liens qui unissent les membres d’une famille : est-on parent parce qu’on a enfanté, l’essentiel n’est-il pas d’être généreux et aimants ?

En outre, ce film a révélé, deux ans avant les Jeux Olympiques de Tōkyō, l’existence d’un autre Japon, précaire, réfractaire, d’ordinaire ignoré et dissimulé. Logement exigu, jeune femme travaillant dans un peep-show, garçon déscolarisé : le réalisateur montre le hors-cadre de l’image que la société donne, en l’occurrence celle d’une société harmonieuse et socialement homogène évoluant dans les quartiers du nord et de l’est de Tōkyō, nommés shitamachi (littéralement « ville basse », quartiers populaires). Sous le vernis de la chronique familiale grand public se cache aussi un vrai discours politique. Hirokazu Kore-Eda témoigne de son affection pour les déclassés qui luttent pour joindre les deux bouts. Une scène terrible montre ainsi deux employées à qui l'on demande de choisir celle qui va garder son travail... Mais si l'argent manque au foyer reconstitué, l'amour, lui, a toujours droit de cité.

Mêlant veine sociale et description des rapports familiaux, Kore-Eda est souvent comparé au géant du cinéma japonais Yasujiro Ozu, même s'il se réclame plutôt du Britannique Ken Loach pour sa façon de "sublimer des gens ordinaires".

Ce qui émerveille chez le réalisateur nippon, c’est cette extrême sensibilité et générosité envers ses personnages, sans une once de pathos. C’est d’une humanité rare, avec une écriture délicate et sensible qui ne force jamais le trait. La mise en scène est discrète et pleine de grâce ; le récit rigoureux est fait de dévoilements progressifs, de retournements bouleversants. On adore cette légèreté teintée de gravité.