Avec ce film remarquable à l’esthétique sublime, nous voici plongés dans une ambiance oppressante, tenus par un suspens parfaitement construit jusqu'à son aboutissement.

Fait rare, Shokuzai (Pénitence, en français), est initialement une série télévisée nipponne en cinq épisodes, réalisée par Kiyoshi Kurosawa et diffusée en 2012. Adaptée du roman éponyme de Kanae Minato, la série a été compressée en deux films pour le Festival de Venise et une exploitation en salles en Occident. Ce film d’une durée totale de 4 heures et demie, est donc sorti chez nous en deux parties intitulées Celles qui voulaient se souvenir et Celles qui voulaient oublier.

Il nous conte l’histoire de cinq femmes liées par un évènement tragique qui va bouleverser leurs vies :

Emili, nouvellement arrivée dans l’école d’un paisible village japonais, se lie d’amitié avec quatre autres. Un jour, alors qu’elles jouent ensemble dans la cour, la fillette suit un homme pour l’aider dans son travail. Il l’assassine dans le gymnase tandis que ses amies l’attendent tout près. Sous le choc, elles sont incapables de se souvenir du visage de l’assassin. La police n’a aucune piste et l’enquête n’aboutit pas. La mère d’Emili les mettre en garde : si elles ne peuvent identifier le tueur, elles devront faire pénitence toute leur vie.

Quinze ans après, que sont-elles devenues ? Et la mère endeuillée, que cherche-t-elle encore après tout ce temps ?

Shokuzai se découpe en une série de portraits : à chaque épisode, son héroïne, une des fillettes témoins du crime, devenues femmes, 15 ans plus tard. Chacune, à sa manière, reste profondément marquée, hantée par la culpabilité.

La mère, dont la dernière partie suit la chasse finale du meurtrier, va surgir régulièrement dans leur existence pour leur rappeler qu’elle attend le paiement de sa dette. Laquelle sera effectivement payée, parfois très chèrement. Ce découpage de l’histoire permet d’aller plus loin qu’une simple intrigue policière, car il met en avant l’impact du drame sur chaque personnage.

Mêlant une étude psychologique sur les rejaillissements adultes d’un traumatisme enfantin, le thème le plus développé est celui des rapports hommes-femmes empoisonnés par une identité sexuelle perturbée : les jeunes femmes sont victimes de leurs névroses. Shokuzai livre tout à la fois une réflexion profonde sur le déterminisme et une critique acerbe de la société japonaise contemporaine aux codes rigides. C’est également un formidable film de vengeance.

Mais le génie de Kiyoshi Kurosawa, maître du cinéma fantastique nippon depuis le glaçant Cure, le pré-apocalyptique Kaïro, le très hitchcockien Rétribution et son chef d’œuvre, Tokyo Sonata, s’exprime surtout dans sa faculté à glisser peu à peu le polar réaliste vers le surnaturel, où la terreur se mêle au mélodrame. Car tout est soumis à l’étrange, aux fantômes qui s’immiscent dans la vie. Le souvenir de l'enfant morte et la malé­diction de la mère suffisent à insuffler une tension fantastique alors que rien d’irréel n’apparait à l’écran. Le personnage de la mère fait l’effet d’une figure spectrale menaçante, attisant l'esprit du devoir et de la vengeance.

On ne peut qu'admirer la parfaite maîtrise de Kiyoshi Kurosawa au sommet de son art ! Il livre une œuvre sombre et fascinante, à la mise en scène si minutieuse : les splendides décors astucieusement filmés s’accordent avec le caractère et le milieu du personnage traité. Chaque chapitre révèle son style particulier, son propre thème musical, photographie, tonalité visuelle, rythme du montage… Il ose des plans longs sur les personnages, donnant aux épisodes un rythme contemplatif subjuguant. De fait, dans la mise en scène de Kurosawa tout fait sens, rien ne semble laissé au hasard. A voir absolument en se laissant porter par sa lenteur et sa grâce.