Cinq ans après le magnifique Ida, Pawel Pawlikowski revient avec une histoire d’amour fou et impossible, librement inspirée de la relation chaotique de ses propres parents. Auréolé du prix de la mise en scène au festival de Cannes 2018, Cold War dresse le portrait intime d’un couple magnifique, à travers le rideau de fer de l'Europe d'après-guerre, oscillant entre la campagne polonaise, Berlin-Est, Paris et la Yougoslavie.

En 1949 en Pologne, Wiktor, compositeur et pianiste, auditionne des musiciens et danseurs pour mettre en valeur les sons authentiques de la Pologne et célébrer la culture régionale. Il tombe sous le charme de Zula, chanteuse au caractère affirmé, et la choisit pour intégrer le groupe folklorique. Entre eux l’amour est presque immédiat, puissant, inévitable. Les deux artistes vont vivre des amours compliquées qui s'étendront sur plus de quinze années turbulentes. 

Pris dans l’engrenage de la propagande soviétique et des tensions croissantes entre l’Est et l’Ouest, la chorale devient un outil politique pesant pour Wiktor, soumis à ce régime oppressif. Il tente de passer à l’Ouest lors d’une représentation à Berlin, s’imaginant à tort que Zula prendra le même chemin… En exil volontaire à Paris, il n’aura de cesse de revoir Zula, quitte à prendre des risques inconsidérés pour sa sécurité. Constamment le rideau de fer les sépare, infranchissable et implacable, et renforce paradoxalement leur amour.

Pratiquant l’ellipse avec brio, Pawlikowski nous fait traverser les années entre Est et Ouest au fil de retrouvailles et de séparations entre le musicien épris de liberté et la chanteuse passionnée. À la fois sobre et d’une profonde intensité, Cold War nous conte avec un talent magistral l’histoire de ce couple que la vie cherche à séparer. Le réalisateur décrit avec précision leurs rapports de force, la difficile adaptation aux rêves, l’exil et la difficulté de tout recommencer…

Cette romance séduit avant tout par la forme même du film : Cold War bénéficie d'une image d’un noir en blanc somptueux, qui magnifie la lumière et semble une évidence pour décrire un pays gris et contrôlé. La caméra, faisant la part belle aux plans serrés, se veut  sensuelle dans ses mouvements, caressant presque les personnages, belle façon de les sublimer : l’ambivalence et la détresse de l’héroïne sont ainsi subtilement dépeintes. Le film comporte de fait assez peu de dialogues, confiant la narration à ses qualités esthétiques.

L’ambiance est également marquée par l’omniprésente musicalité, qui enveloppe littéralement les acteurs et plonge chaque scène dans une atmosphère envoûtante. La musique, point de rencontre et lien entre nos personnages, tisse la toile de fond de ce long métrage avec des compositions vraiment remarquables, tout en créant une cadence très particulière, au son des chants et danses populaires polonais, mêlé au rythme lancinant du jazz et au rock des années 50. A son arrivée à Paris en effet, Wiktor fréquente les clubs de jazz, à la découverte d’une musique qui s’émancipe des carcans et dont les envolées improvisées libèrent son expression artistique. Au-delà des tourments géostratégiques de l’après-guerre, la musique rassemble et véhicule l’émotion. La mise en scène alterne scène de chants, de danses et moments intimes avec une élégance folle.

La beauté de Cold War, c’est sa pudeur et sa sobriété. Un film qui irradie d’amour et de désespoir. Un film poignant sur la difficulté à aimer. Une passion dévorante teintée de mélancolie qui nous éblouit.