Thriller américain hors du commun avec Edward Norton à la fois derrière, devant la caméra et au scénario, Brooklyn affairs nous plonge dans le New York des années 1950, de quoi ravir les amoureux de la ville, du jazz et des classiques du film noir...

Brooklyn Affairs est le second film d’Edward Norton, près de 20 ans après la comédie romantique Au nom d’Anna. Son scénario s’inspire d’un roman de Jonathan Lethem, Motherless Brooklyn, dont l’action se déroule en 1999. L’intrigue sinueuse de Brooklyn Affairs a été transposée dans les années 50, « époque de grands changements » selon Norton.

Ce polar classieux, dont l’histoire s’épaissit au fur et à mesure qu’avance l’enquête alambiquée, regorge de références et joue avec les codes du genre : les silhouettes à chapeaux, le club jazzy, les ruelles sombres, les pièces enfumées, l’arrière-cour du club où l’on se fait tabasser, les puissants véreux et la corruption omniprésente … Nous sommes proches de l’univers d’Elmore Leonard, de Raymond Chandler ou de James Ellroy.

Surtout, Edward Norton insuffle un regard moderne sur le genre.

- D’abord, par son originalité même : la pathologie du protagoniste principal, le syndrome Gilles de la Tourette, qui provoque des troubles nerveux et des tics de langage. Non seulement elle complique ses relations professionnelles et personnelles (lui apportant néanmoins une excellente mémoire), mais elle rend terriblement humaine la figure du privé. Une maladie qui le rend attachant, et apporte une tonalité de comique tendre. Edward Norton l’interprète avec une justesse impressionnante, livrant une performance de jeu étonnante : il réussit l’exploit de représenter ce syndrome à l’écran sans tomber dans la caricature. Brooklyn Affairs sort des clichés en abordant le handicap comme une part de la personnalité parmi d’autres, tout en démontrant sa complexité en termes d’acceptation de soi et de rapports sociaux. 

Citons la scène d’ouverture forte de sens et efficace, où notre héros ne peut s’empêcher de découdre le fil de son pull, quitte à le ruiner : sa condition le contraint à tirer sur les fils, à tout retourner dans tous les sens pour remettre l’ensemble dans l’ordre. On comprend d’emblée pourquoi Lionel va être obnubilé par l’affaire du meurtre de son ami et mentor Minna, puis par la machination qu’il découvrira. Il doit dénouer les nœuds de cette histoire. Alors le spectateur entre presque dans la tête de cet enquêteur tout aussi génial que maladroit.

- Ensuite, par son enquête, qui tourne autour de thèmes à la résonance très contemporaine :

le crime sordide d’un détective lance Lionel dans un labyrinthe d’intrigues, déambulant entre corruption, mensonges et manipulation politique. Affaires liées à la municipalité, où un magnat de l’immobilier, l’orgueilleux Moses Randolph (l’impeccable Alec Baldwin) expulse sans vergogne les pauvres des quartiers qu’il veut rénover. Des "orphelins de Brooklyn" abusés par des puissants n’hésitant pas à multiplier des opérations d’urbanisme, évoquant une page trouble de l’histoire de New York : ce thriller politico-immobilier transpose ainsi un chapitre de la transformation de New York de la première moitié du 20e siècle sous l’égide de l’urbaniste Robert Moses, qui avait déclaré insalubres divers quartiers et exproprié ses habitants Afro-américains, afin de multiplier espaces verts, larges avenues et équipements sportifs… De quoi traiter des inégalités et des injustices qui gangrènent encore aujourd’hui, selon l’auteur, la Grosse Pomme.

Nous voici donc embarqués dans une ténébreuse affaire qui permet de dénoncer les abus de pouvoirs et livrer un hommage à tous ceux que la société laisse sur le bas-côté à cause de leurs différences. En ça, la portée politique du film nourrit l’histoire, et dénonce une réalité politique complexe et toujours actuelle : celle de l’impunité des dirigeants.

Autres atouts de ce film puissant et contrasté : il constitue un voyage dans le temps et une immersion dans New-York. La ville des années 50 reconstruite pour l’occasion dans un studio, artifice que le cinéaste ne cache pas, occupe le devant de la scène et est personnage à part entière. Plutôt que de rechercher des effets formels, le réalisateur soigne la reconstitution, impose un rythme lent et une atmosphère mélancolique, sur le son d’une partition jazzy. La musique, orchestrée par le compositeur Daniel Pemberton, le trompettiste Wynton Marsalis ainsi que Thom Yorke, offre des séquences envoûtantes. Brooklyn Affairs est enrichi de superbes concerts de jazz, mis en scène dans un petit bar du quartier d’Harlem.

Quelques touches de romance et d’amitié ajoutent un charme supplémentaire à ce polar si élégant.

 

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