Des histoires d’amour contrariées, le cinéma en livre à foison, tantôt mélodramatiques, tantôt romantiques, plus ou moins crédibles. Un amour impossible se dégage indéniablement du lot, tellement il regorge de sincérité et d’ampleur romanesque.

Catherine Corsini réussit admirablement la gageure d’adapter le roman éponyme de Christine Angot [Récompensé par le Prix Décembre lors de sa sortie en 2015 et déjà adapté au théâtre], à l’écriture brute et incisive, au ton âpre, pour créer un film bouleversant.

Cette cinéaste se plaît à magnifier les femmes : La nouvelle Eve, Partir, ou encore La belle Saison, pour les plus mémorables, ont en commun de mettre en avant des personnages féminins particulièrement forts.

Un amour impossible est d’abord un magnifique portrait de femme - la mère de l’écrivain, puisque nous sommes dans l’adaptation libre d’un roman auto fictionnel - sur plusieurs décennies. À Châteauroux, à la fin des années 50, Rachel, employée à la Sécurité sociale rencontre Philippe, jeune érudit issu de la bourgeoisie parisienne. S’ensuit une liaison passionnelle mais brève, dont naît une fille, Chantal. Elle sera élevée par sa mère, le père refusant de la reconnaître. S’il y consent quatorze ans plus tard, c’est que leur fille est devenue une adolescente, dont il peut désormais abuser… Presque 40 ans d’une vie de femme, modeste et forte, amoureuse, aveuglée par l’amour qu’elle porte pour un homme égoïste et pervers.

Ce drame raconte aussi, avec pudeur et subtilité, la construction d'un amour puis la désillusion, l’abnégation, la solitude et le combat d'une femme, la découverte de l'indicible, l'incompréhension et la colère d’une fille envers sa mère qui n’a pas vu ce qui se tramait entre l’homme qu’elle aimait et leur fille, puis la réconciliation. Réconciliation lumineuse qui fait de ce portrait une bouleversante déclaration d’amour à la mère.

Virginie Efira est remarquable de justesse, elle irradie le film de bout en bout. À 25 ans, 35 ou même 65, elle fait passer avec une grâce infinie toutes les nuances de son personnage, alternant détermination positive, douleur intériorisée et candeur amoureuse.

À ses côtés Niels Schneider est aussi charismatique, énigmatique et séduisant qu’abject au fil du temps. L’acteur apporte une arrogance troublante au personnage.

Pour restituer l’écriture sèche du roman, Catherine Corsini a choisi une réalisation au classicisme assumé, une mise en scène rigoureuse, qui colle parfaitement d'une façon fluide et élégante au sujet et à l’époque. Ce classicisme écarte le récit de tout pathos au profit d’une émotion pudique et permet le glissement subtil d’une ambiance légère à une tension de plus en plus lourde et sombre, voir insoutenable.

Il sied également à ses personnages, Rachel dans la retenue et Philippe à une distance manipulatrice. Il s’accorde admirablement à l’ampleur temporelle de la narration : le film joue admirablement avec le temps - ses accélérations, ralentissements ou ellipses -, pour dire cette vie, scandée par la voix off de la fille-narratrice, maintenant ainsi la dimension littéraire des mots de Christine Angot.

Un amour impossible ausculte avec justesse les rapports de domination dans un couple, et comment cette emprise devient transgénérationnelle : la mécanique de l’emprise dévastatrice que Philippe exerce d’abord sur Rachel puis sur sa fille se développe, implacable et sordide.

S’appuyant sur une solide reconstitution d’époque à l’allure surannée, cette fresque sociétale, intime et universelle, brosse la violence sociale de ces années 50 et 60 : Philippe assume sans complexe son antisémitisme, et le destin de Rachel symbolise la condition féminine. La réalisatrice développe ainsi un discours sociologique digne des grands Chabrol sur le rapport entre la domination bourgeoise et la classe populaire. Cet amour impossible est d’ordre social : avec sa froideur nonchalante, l’homme use de son charisme et de sa supériorité sociale revendiquée.

Rachel, déchirée entre l’irrépressible attraction qu’elle portera toute sa vie pour un homme méprisant et ses envies d’émancipation, apparaît telle une héroïne tragique.

La scène inaugurale de la rencontre est éblouissante et grave, comme la discussion finale entre Rachel et sa fille dans le café Paris, où les lentes oscillations de la caméra, très proche des deux visages, sont bouleversantes.

Un film délicat, intelligent et émouvant.